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BARRY TUTANKHAMON

BARRY TUTANKHAMON

"le savoir est une patrie et l'ignorance une terre étrangère"


FAUTI-IL SE MEFIER DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE ?

Publié le 15 Janvier 2010, 11:13am

Catégories : #opinions

Cette  question  peut sembler paradoxale quand on sait comment la communauté internationale a fait grand cas des récentes exactions subies par des citoyens Guinéens de la part de leur propre armée. Les condamnations ont été unanimes et se sont soldées par une commission internationale d’enquête dont les conclusions ont sans ambigüité, désigné les instigateurs du massacre. Mais pouvait-il en être autrement, tant l’acte était flagrant et contraire aux principes abondamment rappelés dans le monde ? Mais une fois l’émotion retombée et apparues les premières difficultés pour résoudre la situation politique guinéenne, on peut  raisonnablement se demander si la roue n’est pas en train de  tourner.

Rendons nous à l’évidence : aujourd’hui, la communauté internationale, au moins à travers deux de ses importants membres, qui ont le plus accompagné l’opposition ces dernières semaines, semble opérer un subtil changement d’attitude dans le conflit guinéen. Du moins, la chaleur dont elle avait entouré ceux qui sont apparus comme les fers de lance de la contestation semble s’être considérablement dissipée. Il est difficile d’interpréter autrement les conciliabules entre le désormais numéro un du CNDD et les représentants de la France et des Etats-Unis au Maroc, à l’issue desquels a été découverte cette idée, qui avait pourtant été déjà récusée dès le début des pourparlers de Ouagadougou. On peut donc craindre qu’on se contente du simple changement d’un homme au lieu du changement d’un système. Nous sommes du coup, dans une situation paradoxale qui voit l’opposition presque mise en demeure de se précipiter sur la solution proposée par la junte, au risque  d’être tenue pour responsable du blocage dans lequel nous sommes. C’est elle qui désormais pourrait  faire l’objet de toutes les pressions, pour accepter une solution qui a été concoctée à son insu, à moins qu’il ait existé des contacts dont nous n’avons pas été instruits. La joie feinte de Mr Kouchner (l’agréable surprise !) ou l’intérêt soudain du Maroc, pourtant connu pour ses amitiés avec  nos puissants, pour la situation politique de la Guinée ne sont rien d’autre que des postures préparant l’idée que cette solution est en train de rencontrer un enthousiasme universel.  Le nouvel adoubement, par Kouchner, de Compaoré appelé à favoriser une solution « africaine », s’inscrit sûrement dans cette perspective et ne peut rassurer. Cette démarche serait d’autant plus aventureuse qu’elle s’appuie sur  l’hypothèse  hardie de l’unanimité du CNDD.  La cacophonie au sommet de la junte permettrait  pourtant de penser le contraire. Il semble bien que nous soyons en présence d’une hydre à plusieurs têtes, avec en prime un marionnettiste dans l’ombre qui compte bien jouer sa propre partition, au grand dam de ses mandants.  On ne peut, en effet, imaginer que les instances internationales qui se sont impliquées dans ce problème aient souscrit au retour de Dadis à Conakry. Et si Kouchner n’était pas au courant de ce retour, qu’il avait désavoué avec force, alors il peut, comme nous tous, s’inquiéter de la loyauté du médiateur. Comment en sommes-nous arrivés là ?

On peut imaginer que la communauté internationale a dû être embarrassée, pour ne pas dire agacée par l’attitude de l’opposition Guinéenne. Celle-ci n’a pas su faire émerger un interlocuteur identifié, et n’a pu faire taire ses divisions qu’en prenant le minimum d’initiatives ; et par-dessus tout, elle a donné l’impression d’avoir, depuis les évènements du 28 septembre, abandonné le terrain à une junte qui,  il faut bien le dire, a réussi, grâce à un subtil dosage d’intimidations et de promesses,   à ne pas sombrer. Elle a ainsi, non seulement désamorcé la mobilisation populaire, mais aussi dilapidé une bonne part du capital de sympathie dont elle jouissait. On ne peut, dans ces conditions, blâmer certains membres  de la communauté internationale pour leur réticence à rester encore en première ligne, au risque de soulever des soupçons sur leurs motivations réelles. 

Il faut également se dire que les nations, comme la France ou les Etats-Unis, qui ont la prétention de gérer le monde, de le pacifier et d’y diffuser leurs normes ne tirent leur légitimité, entre autres, que de leur capacité à éteindre les conflits qui éclatent çà et là. Un monarque ne peut accepter que lui échappe « le monopole de la violence légitime », comme disait Max Weber, sans perdre la face. Ils ne peuvent donc, pour éviter d’entamer ce capital qui leur est précieux, se permettre de laisser s’éterniser le conflit guinéen, qui risque d’éclabousser les pays voisins (Sierra-Leone, Libéria, voire la Côte-d’Ivoire) dans lesquels ils ont consenti d’importants efforts de pacification. Dès lors, si les Guinéens ne s’en préoccupent pas, on leur trouvera toujours une solution, fût-elle bâclée, pourvu  qu’elle garantisse la paix dans la région. Celle-ci sera préservée, pour le moment du moins, quant à la quiétude des Guinéens, on verra. D’autre part, ces pays qui ont besoin d’un consensus sur des sujets mondiaux plus importants pour eux (désarmement, commerce international, environnement, etc.. .) ne peuvent s’opposer frontalement et durablement aux puissances (Chine, Russie, etc.…) qui ne semblent guère partager leur avis sur le problème guinéen. Un compromis au détriment des réels intérêts du peuple Guinéen n’est pas à exclure alors. Dans ces conditions, la cause est-elle perdue ? C’est aux Guinéens épris de liberté et de démocratie à ne pas subir la fatalité, car  Il y a heureusement toujours quelque chose à faire.

D’abord éviter de reproduire les réflexes, traditionnels chez nous, qui consistent à toujours se découvrir un nouveau messie, car c’est ainsi que nous fabriquons nos propres bourreaux. Il est difficile lorsqu’on est au pouvoir et unanimement encensé de garder la tête froide et le sens de la mesure. D’expérience, nous en savons pourtant quelque chose.  Il ne sert à rien de féliciter bruyamment une personne, fut-elle de bonne volonté, qui n’a rien accompli d’autre que formuler de belles promesses ; seul un « lâche soulagement »  peut nous conduire à adopter une telle attitude après ce que nous avons vécu. Sans hostilité ou esprit de blocage systématique, les Guinéens, tant ils ont été abusés dans le passé, doivent invariablement être inspirés par la vigilance et la circonspection face aux promesses de leurs gouvernants présents ou futurs.

Ensuite, on ne saurait trop recommander aux Guinéens de faire le point sur les parties engagées dans cette médiation. De la même manière que l’opposition est invitée à proposer un premier ministre, il n’est pas superflu de préciser qui commande dans le CNDD.  Il faut nécessairement officialiser le remplacement de Dadis à la tête de la junte. Konaté engage t-il la junte, ou ne parle t-il qu’en son nom ? Ce point est d’autant plus important que tout semble montrer que c’est plus avec ses compagnons d’armes  que subsiste une méfiance qu’avec le reste de la classe politique, qui est manifestement prête à lui faire confiance. Or sans clarté sur ce point il est difficile de compter sur la fermeté des engagements qui seront pris.  L’autre partie dans la négociation qui pose problème, c’est encore le médiateur. Tout se passe comme s’il se ménageait des cartes maîtresses pour exister malgré tout. Dadis jouant ici le rôle de l’épouvantail tenu en réserve et susceptible d’être opportunément exhibé pour compromettre toute solution qui marginaliserait le médiateur. On peut donc se demander s’il ne se pas trouve en Afrique une personnalité au profil moins inquiétant, propre à assurer cette mission ? On aurait tort, par paresse ou manque de détermination, de négliger ce point.

D’autre part,  et cela découle de ce qui précède, il faut toujours s’entourer de garanties. A cet égard, on ne peut que souscrire à la démarche de ceux qui, tout en ne rejetant pas la main tendue, demandent que soient précisés les rôles réels d’un premier ministre et ceux de son gouvernement.  C’est le minimum qu’il est possible de demander dans cette phase. En effet, l’expérience nous a hélas montré que la nomination de premiers ministres dans le passé récent n’a servi qu’à  offrir un répit au pouvoir confronté à la fronde des Guinéens. Pour qu’il en soit autrement, des points importants doivent donc être clarifiés. Quels sont les dispositifs leur permettant d’avoir réellement les coudées franches ? La communauté internationale, qui semble applaudir à cette idée, doit assortir son arbitrage de moyens civils et armés, garantissant une autonomie et une indépendance à ce gouvernement, à moins qu’elle ait décidé de se laver les mains du dossier Guinéen. Est-il raisonnable, en effet,  de commettre à la protection des opposants ceux-là même qui sont indexés par le rapport des Nations-Unies ? Quelle sera, dans ces conditions, la loyauté de la négociation qui sera engagée entre les deux parties ? Comment pourrait-on, alors, poursuivre les auteurs du massacre du 28 septembre ? A moins que ce sujet soit maintenant devenu secondaire, comme ce fut le cas pour les massacres de 2007. Il est même permis de se demander si le procès de leurs auteurs, ainsi que la restructuration des forces armées  et de sécurité sont des thèmes moins importants que la tenue d’élections, sur lesquelles pèse, de toute façon, l’épée de Damoclès de la troupe ?  Qu’on se le dise donc, l’opposition a mangé son pain blanc ; elle est désormais condamnée à montrer plus d’imagination et de détermination si elle veut contribuer à sortir les Guinéens de cette longue tragédie.

Enfin, est-il important que le premier ministre pressenti soit un homme politique ? Est-il scandaleux de solliciter le concours de personnes qui ont fait la preuve de leur intégrité et de leur courage au motif que ce ne sont pas des politiques ?  Les Forces Vives seraient bien inspirées de proposer des personnalités impliquées, soit dans la défense des droits de l’homme (Exemple Mr Sow de l’OGDH), soit un religieux au dessus de tout reproche à nos jours (Monseigneur R. Sara), ou enfin une des personnalités syndicales.  Ce choix aurait d’abord l’avantage de conjurer le risque d’absolution d’une junte qui, quoi qu’on dise,  a du sang sur les mains et est encore mise au  ban de l’humanité. Ensuite il permettrait d’éviter de nouvelles sources de divisions pour l’opposition. Et à ce propos, le déficit de leadership montré par l’opposition doit être comblé, car il a été son talon d’Achille ces dernières semaines. Sans leadership, c'est-à-dire sans lisibilité et sans visage, elle restera toujours un potentiel, une force sans lendemain. Pour ce faire, seule la personnalité qui  adoptera une démarche  exempte de tout esprit de clan, et montrera un esprit de sacrifice, pourra à l’avenir jouir d’un charisme et d’une autorité, propres à réunir autour d’elle une majorité de Guinéens au-delà de toutes distinctions quelles qu’elles soient.  

Nous aurions mauvaise grâce à sous-estimer le concours que nous a apporté la communauté internationale ; sa mobilisation a constitué un formidable effet de levier, dont nous n’avons d’ailleurs pas toujours fait bon usage. Mais malgré ses vertus, le renfort international n’est pas toujours sans limites, car il n’est pas toujours exempt d’arrière-pensées ;  et surtout, il ne peut se substituer à ceux qui sont concernés au premier chef. En tout cas, les Guinéens auraient tort d’abdiquer et de laisser aux  autres  le soin de tracer, à leur insu, les contours de leur devenir. Il ne faut pas oublier, en effet, que si une nation peut avoir des partenaires plus ou moins privilégiés, elle ne peut avoir  de meilleur ami qu’elle-même.    

 
ABDOURAHMANE BARRY

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