Dadis est parti, Sékouba est venu… Un dictateur s’en va, suivi d’un autre. La même substitution eut lieu entre Sékou Touré et Lansana Conté. Tel a été le sort de la
Guinée depuis 1958, l’année où elle remplaça —sans s’en douter — le colonialisme extérieur par l’oppression interne. Car derrière les différences de style, la continuité autoritaire et
tyrannique entre les quatre chefs d’Etat est évidente. Avec, de surcroît, une alternance curieuse par laquelle deux présidents volubiles et deux autres taciturnes se sont succédés à la
magistrature suprême. Tous quatre des autocrates incapables, intolérants et sanguinaires.
Durant cinquante ans, avec les présidents Sékou Touré et Lansana Conté, une stabilité négative et une longévité politique étouffante, ont ruiné la Guinée. Mais voilà qu’en un an, le pays en a eu
deux autres chefs d’Etat. Autant dire que le cours de l’histoire s’accélère sous la pression de populations décidées à assumer leur destin.
Longevité politique | Comportement discursif | |
Sékou Touré
(2 oct. 1958-26 mars 1984)
|
26 ans | Bavard |
Lansana Conté
(3 avril 1984-22 déc. 2008)
|
24 ans | Silencieux |
Moussa Dadis Camara
23 déc. 2008-3 déc. 2009
|
1 an | Bavard |
Sékouba Konaté
11 dec. 2009
|
Silencieux |
A la mi-décembre 2009, on a assisté, çà et là, à une petite campagne médiatique visant à conférer une certaine respectabilité au numéro 3 du Cndd.
Ainsi le Quai d’Orsay a — prématurément— trouvé “encourageante” la teneur du discours du Nouvel An du général Konaté.
Le département d’Etat américain a parlé de lui tendre la main…
Pour sa part, Jeune Afrique a publié une courte biographie de l’intérimaire ; l’article lit davantage comme un publi-reportage (infomercial) qu’à une information objective.
Jeune Afrique titre en effet : « Le Tigre rugit. » Et l’article de continuer : « Enfin ?! s’exclament en chœur la population, les leaders politiques et les représentants de la
société civile. La radio et la télévision nationales viennent de diffuser le premier message du général Sékouba Konaté. Le ton est ferme. Connu pour sa réticence à s’exprimer en public, le
ministre de la Défense, qui faisait le tour des garnisons, a dû se faire violence. Ses nouvelles responsabilités ne lui laissent guère le choix. »
Ce passage découle plus de l’imagination de la rédaction de Jeune Afrique que de la réalité guinéenne.
Enfin un site Internet guinéen ne se gêne pas de proclamer que Sékouba est devenu la nouvelle coqueluche des Guinéens ! Comme s’il était quelque danseur inspiré, un artiste talentueux ou un
écrivain génial !
Tout ce qui précède suggère d’une part l’impatience et l’essoufflement de la communauté internationale vis-à-vis de la crise guinéenne, qui n’en finit pas, et qui est tantôt larvée, tantôt
explosive.
Malheureusement, le dossier du général est diablement plus complexe. Et il ne peut pas être réduit à de formules lapidaires ou à une solution simpliste, du genre “entre deux maux, il faut choisir
le moindre”. Comme je cherche à le montrer ici, Sékouba et Dadis, c’est les côtes pile et face de la même pièce. Et le général et le capitaine sont aussi enfoncés et impliqués, l’un et l’autre,
dans le pourrissement de la crise guinéenne. Bref, Sékouba fait davantage partie des fauteurs de troubles et des auteurs de crimes que des artisans de la paix et d’éventuels bâtisseurs d’une
Guinée post-dictatoriale.
En effet, comme Dadis Camara, Konaté provient du sérail militaire de Lansana Conté. Un environnement corrompu, dépravé, alcoolique et ignare. En dépit des études et des diplômes, leurs
personnalités sont suspectes voire entachées du fait de leur allégeance à Conté. Les données manquent, mais il y a lieu de croire que Konaté fut à la fois un instrument et un architecte du régime
de Conté. Il est une preuve tangible de la constitution — sous Conté — d’un militariat oppresseur et d’une couche militaire sangsue et agressive.
La conviction partagée par les membres de ce groupe est que seule l’armée peut diriger le pays et empêcher le déclenchement d’une guerre civile en Guinée. L’argument relève d’une idéologie
machiavélique et il est fallacieux à tous égards. Mais ces officiers semi-lettrés et leurs troupes analphabètes y trouvent la justification des mutineries, pillages, et tueries de 1996, 2001,
2002, 2006, 2007 et 2009.
Curieusement les principaux officiers généraux de cette période, — Kerfalla Camara, Arafan Camara, Bailo Diallo — sont morts. Leur remplaçant, général Diarra Camara, croupit en prison depuis un
an.
Et capitaine Moussa Dadis Camara, leur challenger, est hospitalisé avec une blessure paralysante infligée par Lieutenant Aboubacar Toumba Diakité, son complice principal et ancien aide de
camp.
En d’autres termes, les piliers et continuateurs de la politique de Conté n’ont pas eu longue vie. Les vivants (Moussa D. Camara, Sékouba Konaté, Pivi Togba, Toumba Diakité) doivent désormais
subir une triple rétribution : ni acceptation, ni disculpation, ni rédemption.
Général Konaté et le régime militaires ne sont ni acceptables ni même tolérables. Les forces armées n’ont pas entendu la vox populi et l’élan désespéré et ferme des
populations vers, enfin, l’auto-détermination. En déviant du plan initialement annoncé, les militaires ont aggravé la chienlit guinéenne et se sont tombés dans la lie de l’humanité.
Et pourtant, en prenant le pouvoir le 23 décembre 2009, les militaires avaient ravivé l’espoir perdu en s’engageant, à travers Dadis, à organiser la transition électorale vers un pouvoir civil et
à retourner dans les casernes. Mais en quelques mois, ils violèrent ouvertement leur promesse. Et le carnage du 28 septembre, au stade de Conakry, fut l’aboutissement logique de leurs noirs
desseins. Ils n’y hésitèrent pas à tuer, blesser et violer pour tenter de réduire au silence et à la résignation le même peuple qu’il proclamait aimer. De la pure fourberie !
Appelé l’alter ego de Dadis, Konaté a participé à toutes les décisions, actions et machinations du Cndd. Et son silence a cautionné la dérive mégalomaniaque et totalitaire de Moussa
Dadis Camara, son “frère de combat”. De tempérament taciturne, il céda le devant de la scène. Mais derrière les coulisses, l’entente entre les deux hommes était diabolique et, en définitive,
catastrophique. Ils étaient poussés par une ambition complémentaire ; le petit capitaine était attiré par le pouvoir, le gros général était appâté par l’argent. La collusion des deux larrons
dépendait de la tolérance mutuelle de leurs faiblesses respectives. Ainsi, Konaté fermait les yeux sur le “Dadis Show” et les pitreries du chef de la junte. Inversement, Dadis laissait Konaté se
remplir les poches à gogo. Les deux compères s’épaulaient ainsi. L’un cherchait, par tous les moyens, à pérenniser l’armée au pouvoir, l’autre mettait en place les réseaux (financiers,
commerciaux, mafieux) d’appui au pouvoir. C’est ainsi que Sékouba bénéficia des raids et des prélèvements de Dadis à la Banque centrale. Il gérait également les contrats juteux : armement,
équipement, construction, création d’une banque de l’armée, etc.
Pour autant, Sékouba n’en est pas moins officier félon que Dadis. Sans préciser outre mesure ce qu’il entendait par une telle recommandation, il invita les chefs de quartiers de Conakry “de faire
comme au temps de Sékou Touré”, … pour résoudre les problèmes de ravitaillement alimentaire, de sécurité, etc. Ce propos est révélateur de la personnalité de Sékouba officier ; il suggère
que derrière le manteau de silence se cache un autre Lansana Conté, c’est-à-dire un homme avare en paroles, mais non moins dangereux pour la Guinée. Car, n’est-ce pas, une rivière calme peut être
aussi dangereuse à traverser qu’un cours d’eau agité…
Général Konaté est donc à rejeter au même titre que Moussa Dadis Camara. De bon ou mauvais gré, il doit se retirer et laisser le champ libre aux formations politiques.
Konaté, Pivi et Tiegboro doivent s’interroger sur leur sort. S’ils s’en étaient tenus à leur promesse de décembre 2009, ils auraient pu jouir d’une retraite
honorable et de la reconnaissance des Guinéens. Mais ils ont joué aux fourbes et ont tout perdu.
Il est vrai que Konaté s’arrangea pour voyager à l’intérieur du pays le jour du massacre planifié. Mais la manœuvre est cousue de fil blanc. Et les enquêteurs de Human Rights Watch et de l’ONU
n’ont pas mordu à l’hameçon. Leurs rapports sont catégoriques : en sa qualité de ministre de la défense, général Konaté assume la responsabilité du comportement criminel des officiers et
hommes de troupe au stade. Il ne peut donc pas a priori se disculper. Au contraire, il est une cible primaire d’inculpation par la Cour pénale internationale.
Au demeurant, de retour à Conakry le 29 septembre, Konaté a ignoré la tragédie qui venait de se dérouler. Et le 2 octobre, Pivi Togba, Toumba Diakité, Dadis Camara et lui-même, paradaient
officiellement sur la place des martyrs à Conakry. Qui ne dit mot consent… Le silence de Konaté jusqu’à ce jour sur le massacre, en dit long sur son rôle dans la tuerie et les viols du stade, non
seulement durant la manifestation du le 28 septembre, mais également à travers la terreur des Bérets rouges dans des quartiers à majorité Fulɓe de la banlieue de Conakry :
Hamdallaye, Dar-es-Salam, Bambeto, Bomboli, Cosa, Enco 5, Simbaya-Gare, Demudula, Wanidara, etc.
A moins que, faits à l’appui, son avocat ne parvienne à démontrer le contraire, l’absence du général Sékouba de Conakry ne pourra pas lui servir d’alibi. Il est donc fort probable qu’il ne pourra
ni se soustraire à la justice, ni se disculper devant la Cour pénale internationale.
Depuis sa désignation comme intérimaire à la tête du Cndd et de l’état, le général Sékouba Konaté parle peu. Cependant les deux ou trois fois qu’il s’est exprimé,
il n’a rien pu — ou voulu — dire. Au lieu de faire face honnêtement à la crise, il se perd dans les clichés, utilise des faux-fuyants et cherche une échappatoire.
Ainsi, le 11 décembre 2009, au Camp Samory, il déclarait : “Ils ont tiré sur notre président…”
Sékouba ne projette pas l’image d’un officier intellectuel. Pas étonnant donc qu’il se comporte ici comme M. Jourdain du Bourgeois Gentilhomme et qu’il fasse de la grammaire sans le savoir.
En effet, le nous qu’il emploie est un pronom inclusif des forces armées et de sécurité. Certes. Mais il c’est en même temps un nous exclusif de tous les autres Guinéens.
Qu’à cela ne tienne. D’abord, je crois que lorsque les hyènes s’entre-dévorent, elles ne doivent pas compter sur la compassion des agneaux. Au contraire, bon débarras ! Qu’ils s’entre-tuent
jusqu’au dernier ! Ce ne sont pas les populations qui vont le déplorer ou le regretter !
Ensuite, Dadis perdit sa crédibilité le jour où il annonça son éventuelle candidature à d’hypothétiques élections. C’était à Boulbinet, vieux quartier méridional Baga de l’ancienne île de Tombo,
devenue le centre-ville de Conakry. Ayant ainsi renié sa parole donnée publiquement, il ne pouvait plus qu’emprunter le chemin de l’auto-destruction. Et ce qui devait arriver arriva. Il prépara
et ordonna les tueries du stade. Un mois plus tard, il subissait à son tour le sort qu’il avait infligé à de paisibles citoyens. Il fut abattu à bout portant. La roue de la vie tourne. Et que
celui qui triomphe par le feu, périsse par le feu !
Enfin, le 6 janvier courant, avec son appel malhonnête à une prétendue “réconciliation”, général Sékouba Konaté sème davantage la confusion. Il croit que les victimes désarmées sont aussi
responsables de la crise que les perpétrateurs armés. Selon lui, le pardon devrait donc être réciproquement accordé par les uns et les autres. L’argument est tordu et fallacieux. Il expose
l’inanité de la “réconciliation nationale” dans un pays qui détient le record absolu du déni de justice. Ce sont les Pdgistes qui brandissent ce slogan pour couvrir leurs forfaitures.
Paradoxalement, de bonne foi ou par naïveté, des victimes du Camp Boiro ou leurs familles semblent y croire.
Mais il ne faudrait pas la charrue avant les bœufs. On ne peut pardonner un crime que s’il a été admis comme tel, jugé et puni.
Toute autre approche revient à encourager l’impunité.
En guise de conclusion, le premier des Dix Commandements dit : “Tu ne tueras point.” Ignorant cet ordre divin, les dictatures guinéennes ont, depuis
1958, fait des citoyens et des populations les cibles des tirs nourris de leurs troupes militaires. La loi biblique est pourtant simple. Dans le roman La Rue Case-Nègre (1950), le vieil coupeur
de cannes la résume en deux temps : nul humain ne peut créer la vie ou ressusciter un mort, seul Dieu le peut.
Il faut donc laisser la question de vie ou la mort au Créateur.
Moussa Dadis Camara professe le christianisme. Drôle de catholique, qui désobéit ouvertement et crassement au Seigneur. Il est vrai qu’en ce cas particulier, un prélat de l’Eglise de Rome, en
l’occurrence Mgr. Vincent Coulibaly archevêque de Conakry, a pris fait et cause pour lui, le tueur, au détriment des victimes. Que fait-on de la charité du Christ ?
Le 28 septembre 2009 fut précédé par le Complot Permanent et les pogroms de Conté. Qu’il soit civil ou militaire, l’Etat guinéen s’est arrogé un droit de vie et de mort sur les individus et les
populations de Guinée. Cherchant ensuite à couvrir leurs crimes, il invoque le pardon et la réconciliation nationale…
Mais aujourd’hui, les Guinéens disent qu’ils en ont marre de cette dictature meurtrière et misérabiliste. Ils ont épousé l’idée de liberté. Et la communauté internationale a décidé d’appuyer leur
lutte contre la tyrannie qui accable le pays depuis cinq décennies.
Pris en sandwich entre ces deux forces, général Sékouba Konaté et le Cndd ne doivent s’attendre ni à l’acceptation, ni à la disculpation, ni à la rédemption. En lieu et place, la justice doit
enfin prévaloir en Guinée. Face à la condamnation universelle les militaires ne peuvent opposer de résistance durable. Ils vont certes traîner la botte et retarder leur départ de la scène
politique.
Mais le temps de leur dictature sanglante et impunie est révolu.
Pr Tierno S Bah
source: blogguinee.com