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BARRY TUTANKHAMON

BARRY TUTANKHAMON

"le savoir est une patrie et l'ignorance une terre étrangère"


CNT : prélude et horizon

Publié le 24 Février 2010, 11:36am

Catégories : #analyses

L’Intersyndicale a voulu organiser le 20 courant la cérémonie d’investiture de la présidente du Conseil national de la Transition (Cnt). Elle comptait sur la présence du président intérimaire, général Sékouba Konaté,  et du Premier ministre transitionnel, Jean-Marie Doré.

Mais ni l’un, ni l’autre n’étaient disponibles pour l’événement. Le premier participait à Banjul au 40e anniversaire de “l’indépendance” de la Gambie, le second était occupé à autre chose à Conakry. Enfin, le corps diplomatique n’avait pas été convié. Pourquoi donc, devant tant d’improvisation et de manque de coordination, avait-on convoqué la rencontre ? Est-ce un signe avant-coureur d’un amateurisme à venir ? Mystère.
Quoiqu’il en soit, avec la présidence de l’exécutif et la primature, le Cnt est la troisième institution de la Transition. Mais, avant même sa formation, elle suscite plus d’interrogations. La raison d’être des trois composantes de la transition est l’organisation d’élections dans les six prochains mois.

En attendant les tractations et la publication de sa composition j’examine ici le prélude et l’horizon du Cnt.

Prélude

Datant du 17 courant, la Lettre de mission de général Sékouba Konaté contient les fondements du Conseil national de la Transition.

De fait, ce document résume les opportunités et les dangers, l’espoir et la fragilité de l’après-Dadis Camara.

La lettre comporte deux parties distinctes :

  • Les quotas numériques assignés à différentes catégories sociales devant désigner des représentants
  • Les consignes du président intérimaire à la présidente Rabiatou Diallo et à ses deux collègues, Mgr. Albert Gomez (frère cadet de Alsény René Gomez et ancien footballeur) et Elhadj Mamadou Saliou Camara.

Je commence par l’examen du deuxième point. Tout d’abord, se référant vraisemblablement aux 6 mois impartis à la transition, général Konaté parle du “respect scrupuleux du calendrier électoral”.  En fait, il est prématuré pour lui de parler de calendrier. Il appartient plutôt à la Commission électorale d’établir un échéancier, dont l’exécution dépendra de la bienveillance des bailleurs de fonds et des partenaires. Car la trésorerie de l’Etat est vide et ses recettes fiscales anémiées.
Ensuite, la lettre énumère les tâches principales du Cnt. Ce sont, dit-elle :

  1. La relecture des lois organiques et des textes électoraux nécessaires à la normalisation de la vie politique
  2. Le suivi et l’évaluation de l’action gouvernementale
  3. La poursuite de l’évolution du processus électoral en particulier, des activités de la CENI
  4. Tout rôle législatif en rapport avec le processus de transition
  5. La contribution à la réconciliation nationale

Comme on le voit, la Lettre de mission est vague car :

  • Elle ne fait aucune mention explicite d’une nécessité primordial et d’une condition sine qua non : la rédaction d’une nouvelle constitution marquant une rupture radicale les précédentes lois fondamentales du pays. En effet, qu’il s’agisse de la Loi de 1958 révisée et amendée en 1968 et en 1978, ou de celle de 1990, modifiée en 2003, les constitutions guinéennes ont ceci de commun: elles sont taillées sur mesure pour satisfaire la boulimie du pouvoir, la volonté autocratique et la politique tyrannique du chef de l’Etat. Dans chacun des cas antérieurs, la préparation de la constitution s’est faite sous l’autorité d’un président de la république, qui s’y est taillé la part du lion, supprimant ou laissant la portion congrue aux branches législative et juridique de l’Etat. Cette fois-ci, au 21e siècle, l’élection présidentielle sera postérieure au processus constitutionnel. Malheureusement, la lettre de Konaté passe sous silence cette démarche fondamentale. Il se borne à parler d’une “relecture” de routine. En réalité, il faut plus qu’un survol. Au contraire, il est essentiel de procéder à une refonte totale des textes fondamentaux, à commencer par la Constitution.
  • Tout en se renforçant mutuellement, les points 2 et 4 contredisent le premier point. D’une part, ils confèrent au Cnt un rôle de supervision de l’action gouvernementale ; ce dont la Primature de Jean-Marie Doré aura à s’accommoder ou bien qu’elle cherchera à contester et à torpiller. D’autre part, ces deux points  assignent un statut législatif aux délibérations du Cnt. Rabiatou et ses collègues seront-ils à la hauteur de leur mission et des attentes des Guinéens ?
    Toujours est-il que leurs travaux devraient déboucher sur la présentation de cette éventuelle et nouvelle Constitution.
  • Considérant le 3e point, le Cnt devrait revoir la composition de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) afin d’éradiquer les contradictions et les tares héritées du régime de Lansana Conté.
  • Dernier point et non le moindre, général Sékouba Konaté joue à l’autruche, qui enfouit son visage dans un trou et se croit ainsi invisible bien que le corps et le derrière soient exposés. Il ne peut pas y avoir de réconciliation en Guinée sans justice. Mais vu que son nom figure sur la liste des personnes ciblées pour enquête supplémentaire par le rapport de l’Onu, Konaté s’est résigné à une attitude suspecte, cynique et inacceptable. Car, en dernière instance, la Cour pénale internationale rejettera toute tentative d’obstruction de la justice au nom d’une prétendue réconciliation nationale.

Qualité et quantité, catégories et quotas

L’autre aspect de la Lettre de mission porte sur la composition du Cnt, portée à 101 membres, répartis ainsi qu’il suit.

Partis politiques 30
Syndicats 15
Armée et sécurité 10
Société civile 9
Guinéens étranger 8
Femmes 4
Jeunesse 4
Coordinations régions 4
Professions 3
Patronat 3
Médias privés 3
Droits humains 2
Paysannat 2
Artisanat 2
Religieux 2
Total 101

Ce qui se traduit visuellement par le tableau suivant :

Composition pléthorique du Conseil national de Transition

Composition pléthorique du Conseil national de la Transition

Commentaire
Tout d’abord je note qu’à l’image du gouvernement de transition de Jean-Marie Doré, la composition du Cnt est pléthorique. Ensuite, la catégorisation sociale est inadéquate et exagérée, désinvolte et superficielle, et cela pour les raisons suivantes

  • On n’a pas besoin d’être économiste ou sociologue pour savoir que l’artisanat relève du paysannat.
  • Les coordinations régionales font partie de la société civile. En raison même de leur désignation, Sékou Touré aurait banni ces organismes fantômatiques et envoyé leurs membres au Camp Boiro. C’est Lansana Conté qui, appliquant le principe du “diviser pour régner”, les inventa et leur donna corps et argent pour ses propres visées politiques.
  • Les professions appartiennent soit aux syndicats, soit à la société civile.
  • L’activité corporative des médias privés relève de prérogatives déjà dévolues aux organisations syndicales.
  • La même remarque s’applique aux organisations des droits de l’homme, dont le rôle s’intègre et renforce la société civile.
  • Les clergés (musulmans et chrétiens) sont des corps spécialisés, non laïcs. En tant que tels, leur place n’est pas au Cnt. Elle est ailleurs, dans les mosquées et dans les églises, dans les qibla et les qutba, les pupitres et les sermons. Leur présence au Cnt ne servirait qu’à affaiblir la laïcité nécessaire de l’Etat et la séparation indispensable des pouvoirs spirituel et temporel.
  • L’armée est une institution spécialisée de l’Etat, qui n’a pas non plus sa place au Cnt. Car depuis 1960 — de Fodéba Keita à Moussa Dadis Camara, en passant par Sékou Touré et Lansana Conté — elle réprime, opprime, viole, pille, et tue les citoyens. Du fait même de son comportement scélérat et criminel, elle a perdu la confiance des populations guinéennes ; elle s’est dépouillée de toute crédibilité, légalité et légitimité. Au point que la communauté africaine et internationale envoie des vrais militaires pour réformer les forces armées guinéennes. En réalité, dans leur complexion actuelle, et en raison des virus qui la rongent, cette institution ne peut pas s’amender. Il faudrait plutôt l’abolir entièrement et repartir à neuf avec des critères professionnels de recrutement.  En attendant, et à l’heure où le pays  marque un nième nouveau départ, il faut exiger que les forces armées rentrent dans les casernes et qu’elles obéissent aux dirigeants civils.

En conséquence, je suggère une révision de la composition du Cnt ainsi qu’il suit : réorganisation catégorielle en neuf groupes et  réduction numérique optimale à 80 membres.

Partis politiques 20
Syndicats 15
Société civile 12
Guinéens étranger 10
Paysannat 5
Femmes 5
Jeunesse 5
Professions 5
Patronat 3
Total 80
Composition optimum du Conseil national de la Transition
Composition optimale du Conseil national de la Transition
Horizon

Peu m’importe que l’on prenne en compte les réflexions et propositions présentes. Le fond du problème demeure, et il recouvre l’horizon et les perspectives de la transition. Ce n’est pas la première fois que l’histoire offre à la Guinée une occasion de ré-inventer et d’améliorer son sort. Ce fut le cas successivement le :

  • 2 octobre 1958 : proclamation  de l’indépendance, qui confirmera, graduellement et malheureusement pour la Guinée la terrible et implacable loi des conséquences inattendues. En d’autres termes, le pays avait aspiré à mettre fin à l’absurdité de la domination et de l’exploitation coloniales. Et voilà qu’un demi-siècle plus tard, on se retrouve pire qu’en 1958.
  • 3 avril 1984 : prise du pouvoir par le Conseil militaire de redressement national, qui se transforma en militariat aussi désastreux que ses prédécesseurs.
  • 23 décembre 2008 : irruption du Conseil national pour la démocratie et le développement, qui massacra vraisemblablement 500 personnes en fin septembre 2009, viola des femmes et des filles en public, etc. Tragiques  démocratie et développement !

Ainsi donc, à chaque étape, sous la forme d’une dictature ethnocratique et du culte de la personnalité du chef, la montagne d’espoir des Guinéens a accouché d’une souris démagogique, corruptrice et meurtrière.

Qu’en sera-t-il cette fois-ci ? Le retour des vieilles et indicibles habitudes du passé ? Ou alors — préférablement — le pays exorcisera-t-il les vampires qui le dévorent et bannira-t-il les démons qui le hantent  ? L’heure a-t-elle finalement sonné pour commencer la marche résolue vers un futur de justice, de liberté, de paix et de développement ? …

Pour terminer, je voudrais rappeler que tout éclopé et perclus qu’il soit devenu,  Moussa Dadis Camara est toujours le président en titre et que le Cndd est tapi  dans l’ombre, certes. Mais il n’a pas dit son dernier mot face à l’épée de Damoclès que la Cour pénale internationale suspend désormais sur la tête de ses principaux membres: Dadis, Tiegboro, Pivi. Sans oublier Toumba et Sékouba Konaté.

Tierno. S. Bah, PhD
source: blogguinee.
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